Mussolini, les juifs et les femmes
LE MONDE
Rome, 1 décembre 2009
La question de l'antisémitisme de Benito Mussolini refait régulièrement surface en Italie. Concession in extremis à Hitler pour les nostalgiques du Duce ; conviction consubstantielle du fascisme pour les autres. Les premiers mettent aussi en avant les passions amoureuses de Mussolini pour des femmes juives qui ont développé son ambition : Margherita Sarfatti, qui mit une partie de sa fortune au service de son héros, et Angelica Balabanoff, son premier mentor politique.
Paru cette semaine en Italie, le livre Mussolini secret (Editions Rizzoli) met un terme définitif à la controverse. Le recueil des carnets de Clara Petacci, la dernière maîtresse du Duce, qui fut fusillée à ses côtés le 28 avril 1945, fait apparaître Mussolini obsédé par les juifs. Exemple, le 4 août 1938, Mussolini dit à sa maîtresse : "Moi j'étais raciste dès 1921. Je ne sais comment ils peuvent penser que j'imite Hitler, il n'était pas encore né. (...) Il faut donner un sens de la race aux Italiens pour qu'ils ne créent pas de métisses, qu'ils ne gâchent pas ce qu'il y a de beau en nous". Le 11 octobre de la même année, il se déchaîne contre "ces saloperies de juifs".
Mussolini réservait en général ses propos les plus violemment antisémites à ses proches, qui les ont ensuite révélés lorsque leurs journaux furent publiés. Dans les années 1920, il accusa des banquiers juifs, dont certains avaient pourtant en partie soutenu financièrement la "marche sur Rome" en 1922, "d'utiliser l'argent italien à des fins sionistes". Pourtant, dix ans plus tard, il soutenait encore qu'il "n'existe pas d'antisémitisme en Italie".
Passion réfléchie
Sa liaison avec Margherita Sarfatti, issue d'une famille juive très bourgeoise et intégrée de Venise, illustre cette ambiguïté. Comme le fit Ida Dalser, à qui le réalisateur Marco Bellochio consacre le film Vincere (sorti en France le 25 novembre), elle mettra sa fougue amoureuse et sa fortune au service du Duce. A cette différence près que sa passion fut réfléchie et servit aussi sa propre ambition, jusqu'à ce qu'elle se décide à l'exil après la publication des lois raciales en juillet 1938.
Pour Françoise Liffran, qui lui a consacré une riche et volumineuse biographie (Margherita Sarfatti, l'égérie du Duce, Seuil), "l'antisémitisme de Mussolini n'allait pas jusqu'au dégoût des personnes. Son attitude était ambivalente. Selon lui, on ne peut appartenir à deux nations à la fois. Ou bien on est sioniste, ou bien on est italien". Margherita Sarfatti obéira à cette injonction en se revendiquant catholique en 1929. "Nous ne devons pas nous distinguer", expliquait-elle.
Philippe Ridet (Rome. correspondent)
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